Sylvain Usher: « LA LIBÉRALISATION DU SECTEUR DE L’EAU S’IMPOSE AUX PAYS AFRICAINS »
Mise à jour le Mardi, 22 novembre 2011 14:43 Écrit par Ouattara Oualkatio Mardi, 22 novembre 2011 14:38
 L’accès des populations à l’eau potable, l’un des droits humains élémentaires, ne peut être effectif sur le continent africain du fait de l’absence de projets bien montés et bancables. Dans cette interview, le secrétaire général de l’Association africaine de l’eau (AAE), l’Ivoirien Usher Sylvain, présente cette structure, et envisage des solutions aux problèmes de l’eau en Afrique.
L’Association africaine de l’eau, qu’est-ce que c’est ?
C’est une organisation internationale créée en février 1980 dont l’objectif initial était de mettre en place une plateforme d’échanges et d’expériences au niveau des sociétés d’eau. Elle regroupait près de cinq sociétés dont la principale était la SODECI qui a voulu mettre en place cette plateforme sous l’impulsion de M. Marcel Zadi Kessy Marcel (NDLR, alors directeur général de la SODECI) pour faire en sorte que les sociétés n’aient pas à réinventer la roue. Les problèmes d’ordre techniques liés aux ressources humaines ou administratifs qui se posaient dans une société, faisaient immédiatement l’objet d’échanges avec d’autres sociétés pour trouver des solutions et les capitaliser. C’était donc une plateforme d’échanges entre sociétés distributrices d’eau qui a progressivement évolué pour prendre en compte tous les acteurs du secteur de l’eau et de l’assainissement à partir de la fin des années 1990 et au début des années 2000.
Les choses ont changé depuis lors…
Effectivement. Avec l’émergence d’autres sociétés dans le secteur de l’eau, on a dû, dans les années 2000, changer les objectifs de l’Association et devenir effectivement une Association africaine de l’eau, prenant ainsi en compte l’ensemble des différents segments de l’activité de distribution d’eau.
Plus de 30 ans d’existence, mais les peuples africains ne savent pas grand-chose de vous. Que faites-vous concrètement, à part les séminaires et autres rendez-vous de réflexion ?
A part les séminaires qui sont l’objectif principal de notre organisation, nous intervenons beaucoup dans le renforcement des capacités. Les Nations Unies viennent de nous confier la mise en œuvre d’un programme de renforcement de capacités qu’on appelle le Partenariat africain pour les opérateurs de l’eau (WOP-Africa) qui a pour ambition de renforcer les capacités des opérateurs d’eau, non à travers la venue d’un consultant qui viendrait regarder comment fonctionne la société et donner des conseils, mais plutôt en faisant déplacer des sociétés qui fonctionnent bien dans telle ou telle activité du secteur pour rendre visite à une société qui fonctionne moins bien afin de renforcer les capacités de cette dernière.
Que fait l’AAE afin de contraindre les gouvernants à réaliser leur part d’investissements dans le secteur de l’eau et de l’assainissement ?
Il y a une organisation appelée AMCOW qui est le Conseil des ministres africains en charge de l’eau, créé en 2002 au Nigeria, et dont la mission principale est d’être l’interlocuteur numéro un du secteur de l’eau. C’est elle qui met en place les politiques de l’eau au niveau du continent. Depuis sa création dans la plupart de ses délibérations, elle ne faisait pas cas des distributeurs d’eau et des sociétés. Nous l’avons remarqué et mené de nombreuses actions afin que notre organisation puisse être un partenaire de l’AMCOW. Nos démarches ont abouti au fait que nous soyons associés aux prises de décision au niveau politique. Nous arrivons ainsi à faire parler notre organisation au niveau des différents pays. Cette position très importante nous a permis d’être au cœur des décisions politiques.
Au niveau de la Côte d’Ivoire, comment cela se décline-t-il ?
Il faut comprendre que nous sommes une organisation internationale qui n’intervient pas dans un pays particulier en ce sens que si nous menions des programmes spécifiques d’assainissement en Côte d’Ivoire, nos autres membres qui financent notre organisation, nous reprocheraient de ne pas financer des projets similaires dans d’autres pays membres en Afrique. Nous pouvons être approchés par certaines organisations en Côte d’Ivoire pour appuyer leurs actions dans la mesure où c’est une sollicitation. Nos membres sont les sociétés d’eau et d’assainissement des différents pays et ils peuvent nous solliciter pour une réflexion au sein du Conseil scientifique et technique pour un problème qu’ils auraient spécifiquement dans leur structure.
L’accès à l’eau potable est l’un des Objectifs du millénaire pour le développement. Que faites-vous pour réaliser cet objectif ?
L’un des soucis majeurs des Objectifs du millénaire pour le développement, c’est de réduire de moitié le nombre des populations en Afrique qui n’ont pas accès à l’eau d’ici 2015. C’est un gros problème, non parce que les sociétés et les pays ne font pas les efforts nécessaires, mais parce que le taux de croissance est très élevé et donne l’impression que l’Afrique recule au lieu d’avancer dans l’atteinte des Objectifs. Lorsqu’une société d’eau s’emploie à augmenter sa clientèle, elle se retrouve ainsi, malheureusement, avec plus de personnes qui ont moins d’eau et plus de personnes non connectées. A cela, s’ajoute les problèmes d’investissement. Bien qu’il y ait beaucoup d’argent disponible dans le secteur de l’eau, les gouvernants et les sociétés n’arrivent pas à mobiliser cet argent pour augmenter les connexions et l’accès à l’eau potable. Aussi les réseaux que nous avons sont vieillissants, car datant des années 1960 et ont besoin d’être renouvelés. Il y a également le problème des constructions anarchiques qui ne prennent pas en compte les pressions des sociétés d’eau. Vous avez des promoteurs immobiliers qui construisent dans des zones où l’eau n’arrive pas encore au moment où ils démarrent leurs travaux et il faut que la société d’eau courre après eux pour pouvoir satisfaire les populations. C’est par exemple le cas pour la ville d’Abidjan.
Comment expliquez-vous qu’il y ait des projets non bancables et pas bien montés ? L’Afrique ne dispose-t-elle pas d’experts en la matière ?
Dire qu’il n’y a pas d’experts serait faux, mais les bailleurs de fonds nous reprochent le fait que nos projets ne soient pas bien montés et pas bancables. Les moyens financiers sont pourtant disponibles.
A quand donc la fin du calvaire pour les peuples africains ?
La fin de nos soucis interviendra quand les managers des sociétés d’eau seront bien formés, pourront exercer leurs activités avec des objectifs bien précis et gérerons ces sociétés pour qu’elles produisent des bénéfices. Certaines sociétés d’Etat en Afrique sont dans ce cas et fonctionnent très bien, car il y a eu la mise place d’un cadre adéquat et un recrutement adéquat au niveau de leurs directions générales. Si on arrive à cela sur tout le continent, on pourra voir la fin des problèmes d’eau en Afrique.
En février 2012, se tient à Marrakech le 16e congrès de l’AAE. Que doit-en attendre ?
Le thème que nous avons choisi est : « mécanismes et initiatives novateurs de coopération pour le développement durable du secteur de l’eau et de l’assainissement en Afrique ».Les éléments qui en ressortent sont "mécanismes, initiatives et novateurs". On ne peut pas se développer sans coopération. Cette coopération que nous avons eue depuis des années ne nous a pas permis de nous développer. L’Afrique se trouve là où elle est avec une croissance positive globalement, mais qui malheureusement n’évolue pas au niveau technologique et managérial. Alors, il faut revoir cette coopération en trouvant des systèmes innovants. Je pense que le conseil va plancher sur ces autres moyens de faire la coopération, des nouveaux types de financements, des nouvelles manières de manager les sociétés d’eau. Mais l’objectif général, c’est l’accès des populations à l’eau et à l’assainissement.
Peut-on penser que l’AAE n’a pas répondu pleinement aux attentes placées en elle ?
Je pense personnellement que l’Association a fait un grand pas, parce qu’aujourd’hui les bailleurs de fonds nous consultent pour développer leurs programmes. Des organisations américaines veulent par exemple s’associer avec l’AAE pour la réalisation de leur programme, elles viennent avec l’argent (mais c’est nous qui définissons notre priorité) et à partir de là , je crois qu’on va le noter dans les années à venir, qu’on aura un développement beaucoup plus harmonieux dans le secteur de l’eau en Afrique.
La solution aux problèmes de l’eau ne serait-elle pas une libéralisation du secteur ?
C’est la tendance. Dans les pays francophones, la décentralisation n’est pas très marquée. Par contre, dans des pays anglophones, comme le Kenya ou l’Afrique du Sud, on peut trouver 15 à 22 et cela fonctionne bien. Les francophones ont tendance à constituer une société unique, même si souvent des privés font la distribution dans certains villages comme au Sénégal, par exemple. Je pense qu’en Côte d’Ivoire cela devrait suivre d’ici quelques années.
Et être une solution pour la Sodeci ?Â
Cela peut être une solution car en Côte d’Ivoire, la SODECI gère des grands centres et des grandes villes. Hormis cela, il y a des villages où c’est le ministère qui a en charge la gestion de l’eau. Et le ministère ne dispose pas souvent de moyens suffisants pour le faire. Donc forcément, si on libéralise cela va permettre à des personnes privées d’investir dans le secteur et d’augmenter le taux d’accès des populations à l’eau potable.
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Interview réalisée par
Ouattara ouakaltio