« La gouvernance dans le secteur de l’eau, c’est savoir aussi gérer les ressources humaines »
L'exemple du Bénin a été cité, à plusieurs reprises, lors des travaux du 17ème congrès de l'AAE. La contribution de la Société nationale des eaux du Bénin (Soneb), membre fondateur de l'AAE, qui permet au Bénin de faire partie du club des rares pays à avoir atteint les objectifs du millénaire pour le développement, a intéressé les participants. A cette occasion, le Directeur général de cette société, très actif à ce congrès, a été invité à faire un témoignage sur la gestion du service public de l'eau à travers le cas de la Soneb en tant qu'opérateur crédible. Il s'agit, à travers cette thématique, de montrer les défis de l'accès et de la gestion du financement des programmes de développement des infrastructures d'assainissement. Lire l'interview accordée à ''L'Evénement précis'' à ce sujet.
L'Evénement Précis: Le Bénin fait partie des rares pays africains à atteindre en 2015 les OMD pour l'accès à l'eau potable. Quelle est la contribution de la SONEB dans ce succès ?
David Babalola: Il faut commencer par dire qu'une société ne peut atteindre les objectifs du millénaire sans l'accompagnement de son gouvernement et des partenaires techniques et financiers. Pour ce qui concerne la Société nationale des eaux du Bénin, toutes ces conditions réunies. Nous avons pu évaluer nos besoins en investissements avant de nous lancer sur ce chantier-là qui est une priorité pour l'Etat béninois. Ce dernier nous a beaucoup aidés et les partenaires ont beaucoup investi. Grâce à ces conditions favorables, mais surtout par le choix des projets que nous avons identifiés, nous allons atteindre les Objectifs du millénaire pour le développement en 2015.
En dix ans d'existence en tant que société publique autonome, vous avez pu maitriser les charges d'exploitation et assurer une grande partie des investissements au point d'acquérir la confiance des investisseurs. Votre exemple de leadership est cité parmi les meilleurs au cours de ce 17ème congrès de l'Association africaine de l'eau ici à Abidjan. Ce qui est rare. Quel est votre secret ?
Le premier secret, c'est les hommes. Vous allez voir qu'à travers toutes les communications au cours du présent congrès, on n'a parlé que des hommes. Vous avez vu que, pour la réforme au Bénin, on est parti d'une seule société qui réunissait l'électricité et l'eau pour aboutir à deux sociétés autonomes, l'une pour l'eau et l'autre pour l'électricité. Il y a donc eu séparation. On s'est entendu pour que les professionnels de l'eau se retrouvent au sein de la Société nationale des eaux du Bénin. Tel est le cas aujourd'hui. A travers les hommes, il y a les compétences et l'efficacité. Voilà les éléments qui ont sérieusement aidé la Soneb à contribuer réellement à l'atteinte des objectifs du millénaire pour le développement. Quand on parle de gouvernance, il y a tous ces éléments. Ce n'est pas que l'aspect financier pour éviter le gaspillage des ressources ou le détournement de fonds. La gouvernance, c'est aussi savoir gérer les ressources humaines en plaçant l'homme qu'il faut à la place qu'il faut. Il faut savoir profiter des compétences, des dynamismes avec tout l'accompagnement qu'il faut. Voilà tous ces éléments, je vous jure, qui permettent, aujourd'hui, à la Société nationale des eaux du Bénin de pouvoir sortir la tête de l'eau.
Parmi les points importants sur lesquels l'Association africaine de l'eau a mis l'accent au cours du présent congrès, il y a la question du leadership à laquelle est d'ailleurs consacrée une session plénière. Qu'est-ce que vous avez pu partager avec vos pairs des sociétésde distribution d'eau des autres pays d'Afrique ?
Nous avons expliqué que la Soneb est une société humble. Nous avons accepté de nous faire coopter par beaucoup de sociétés qui avaient déjà des indicateurs de performances assez avancés, notamment, l'ONEA du Burkina Faso. Nous avons accepté de partager leurs problèmes. Vous savez ! L'avantage de notre association (Ndlr : Association africaine de l'eau-AAE) est que toutes les sociétés de distribution d'eau sont les mêmes. Les sociétés d'eau ont les mêmes problèmes. Il y a déjà des gens qui ont des solutions aux problèmes que vous avez. On s'entraide et vous vous inspirez de ce qu'ils ont fait pour l'adapter à vos réalités. Nous avons su faire cela avec le soutien et l'engagement de tous les travailleurs de la Soneb. Ces derniers ont accepté les plans que nous avons proposés et nous avons su donner de la valeur à chacune de leurs compétences. Ils se sont sentis intégrés. C'est le résultat qui est là et que vous voyez. C'est ce que nous avons partagé avec nos pairs.
De grands travaux que vous avez engagés sont actuellement en cours à Cotonou et dans les zones péri urbaines. Quelle est la finalité de ces travaux ? Qu'est-ce que cela va changer dans la vie des populations ?
C'est surtout cela la question. Je vous disais tout à l'heure que les projets ont été bien identifiés et bien montés. Ce sont ces investissements qui permettent réellement d'atteindre les objectifs du millénaire pour le développement. Vous constatez que le projet de Cotonou est un grand projet. Cotonou avait un déficit d'eau de plus de dix ans en arrière. Avec ce projet, nous aurons plus de déficit d'eau. Cela veut dire que s'il faut cinquante litre d'eau par jour p ar habitant, cela doit être réglé sans difficulté. Et cela sur vingt-cinq ans encore. C'est donc un grand projet alors. C'est d'abord là la clé du succès. C'est un choix fantastique dans la mesure où la population de Cotonou et environs fait presque quarante-cinq pour cent des populations alimentées par la Soneb. Régler donc le problème de Cotonou, c'est régler le problème de 65% des populations. C'est là le secret de la Soneb.
Propos recueillis à Abidjan par A. P. Virgil HOUESSOU (L'Événement Précis/ Bénin), Paule Kadja TRAORE (Walfadjiri/Sénégal) et Salvador GOMES (Agence bissau-guinéenne de presse/Guinée Bissau)
C'est un symposium sur le « Financement pour un développement durable du secteur de l'eau et de l'assainissement » qui a inauguré les travaux du 17ème congrès de l'Association africaine de l'eau. Devant les plus grands bailleurs de fonds et autres partenaires techniques et financiers, le ministre ivoirien des Infrastructures économiques, Patrick Achi a révélé que les problèmes liés à l'eau coûtent largement plus que les contributions financières qu'ils mettent à la disposition des pays africains. «Certes, des milliards sont investis tous les ans pour la gestion dudit secteur, cependant tant que le cout des services alloués aux consommateurs n'est pas revu à la hausse, le gap ne sera jamais comblé », fait-il observer. L'Afrique a besoin de 22 milliards de dollars par an pour atteindre les Omd. C'est donc dire que l'atteinte des Objectifs du millénaire pour le développement (Omd) est fortement tributaire de la disponibilité des ressources financières. L'argent, c'est le nerf de l'accélération du processus. Et l'Afrique fait face à un gap énorme.
Le montant de ce gap est, selon les dernières évaluations, de 22 milliards dollars par an, révèle une source proche du Groupe de la Banque africaine de développement, alors que la capacité annuelle de mobilisation de l'Afrique s'élève seulement à 8 milliards de dollars par an. Face à cette situation, il importe de rechercher d'autres sources de financement. C'est l'objectif de l'organisation du symposium sur le « Financement pour un développement durable du secteur de l'eau et de l'assainissement ». Les différents bailleurs de fonds présents ont essayé de faire le point de leurs apports financiers et de promettre une amélioration de leurs aides tant sur le plan quantitatif que sur la détermination des critères d'octroi de fonds. Mais le ministre ivoirien des infrastructures économiques et catégoriques. Il invite les partenaires techniques et financiers à revoir leurs copies en matière de conditionnalités pour donner plus de chance à la mise en oeuvre des projets dans le secteur de l'eau et de l'assainissement.
A. P. Virgil HOUESSOU, Envoyé spécial à Abidjan
« Les investisseurs islamiques pourraient être sensibles à l'investissement dans le secteur de l'eau et de l'assainissement en Afrique »
Expert financier et spécialiste de la finance islamique, El Hadj Bara Diène est convaincu que les financements des fonds islamiques et des sukuk peuvent aider les pays africains à relever les défis du secteur de l'eau et de l'assainissement. Dans cet entretien qu'il nous a accordé, il relève les limites de la finance classique, met l'accent sur l'absence d'intérêt et de conditions moins contraignantes au niveau de la finance islamique tout en évoquant comment ces sources novatrices et alternatives pourraient aider à maintenir le cap de réalisation mais aussi permettre de surmonter les contraintes de rareté des financements.
L'Evénement Précis : Qu'est-ce que les financements des fonds islamiques et des Sukuk peuvent apporter au secteur de l'eau et de l'assainissement en Afrique ?
El Hadj Bara Diène : Le secteur de l'eau et de l'assainissement représente un enjeu vital pour l'Afrique. C'est un secteur auquel des investisseurs islamiques pourraient être sensibles non seulement pour les dimensions éthique et responsable de la finance islamique, mais aussi parce que cette dernière constituerait un moyen de diversification de placement. C'est un secteur qui se prête aussi aux financements dits « asset-backed » et « asset-based ». Ce sont des termes qui indiquent des revenus générés par les actifs tangibles sous-jacents et qui serviront à rembourser les investisseurs. L'Afrique a besoin de sources de financement pour répondre à ses besoins d'investissements dans ce secteur. Il faut savoir rechercher ces sources-là. C'est pourquoi, il faut surtout retenir que le pool de liquidité, depuis la crise financière de 2008, se trouve principalement au Moyen Orient où il est soutenu par les revenus du pétrole.
En quoi les fonds islamiques et le Sukuk sont-ils des sources alternatives de financement des infrastructures et diffèrent dans autres financements venus des pays développés ou des autres organismes financiers?
Économiquement, les sukuk et les fonds d'investissements islamiques sont équivalents aux obligations et aux fonds conventionnels, mais ils sont structurés conformément aux préceptes de la charia. Ils sont d'abord liés à l'économie réelle, en ce qu'ils sont adossés à des actifs tangibles. L'intérêt et l'usure, c'es-tà- dire, le riba est prohibé. Ce qui veut dire que l'argent n'est qu'un moyen d'échange. C'est dire que le concept de time value of money n'existe pas. En effet, les revenus générés par l'actif tangible constituent la source unique de remboursement des investisseurs. C'est l'«asset backed securities ». D'autres principes différencient ces instruments de ceux de la finance conventionnelle comme le partage des profits et des pertes entre les différents protagonistes et l'interdiction de la spéculation. C'est pour ces raisons que les instruments de la finance islamique ont fait preuve de résilience lors de la crise financière de 2008 et qu'ils sont actuellement sursouscrits.
Quels sont les avantages de ces fonds islamiques et des Sukuk pour l'Afrique et quelle est aujourd'hui la part des pays africains dans la répartition de ces fonds ?
La finance islamique peut constituer une source supplémentaire de financement d'infrastructures en Afrique et elle est parfaitement adaptée à ces classes d'actifs comme les biens immobiliers, les infrastructures routières, les barrages hydro-électriques et autres. Certains pays de l'Afrique ont montré un grand intérêt pour la finance islamique. C'est le cas de la Gambie, du Soudan et du Nigéria qui ont émis des sukuk en 2013. Le Sénégal, l'Afrique du Sud, le Kenya et le Maroc devraient émettre des sukuk avant la fin de l'année 2014. Il y a aussi la Tunisie et l'Egypte qui ont déclaré leur intention d'exploiter le marché des sukuk et, pour cette raison, ils ont adopté des lois relatives à la finance islamique.
Quels sont les organismes qui s'occupent des fonds islamiques et des sukuk?
Les sukuk et les fonds islamiques sont soumis aux lois nationales des émetteurs. En principe, le législateur se réfère, pour adopter des lois relatives à la finance islamique, aux normes édictées par des infrastructures dédiées à la finance islamique comme l'AAOIFI qu'on définit en anglais comme The Accounting and Auditing Organization for Islamic Financial Institutions et aussi l'IIFM, c'est-à-dire The International Islamic Financial Market (Ndlr : cf. les normes charia, de comptabilité...et les instruments de couverture des risques). Nous avons d'ailleurs participer, en tant que membre de la Commission Finance Islamique de Paris EUROPLACE, à la traduction des normes charia de l'AAOIFI, à la structuration de deux schémas d'émission de sukuk, à la rédaction de quatre instructions fiscales relatives à la murabaha, aux sukuk d'investissements, à l'ijara et à l'istisna, etc. Nous avons également participé à la certification de produits d'assurance-vie charia-compatibles en tant que Responsable du Pôle Financier du Comité Indépendant de la Finance Islamique en Europe (CIFIE). Aujourd'hui, la CIFIA qui est la Compagnie Indépendante de la Finance Islamique en Afrique, en partenariat avec des bailleurs de fonds, accompagne des organismes regroupant plusieurs États ainsi que des sociétés évoluant dans le domaine de l'eau et de l'assainissement dans des projets de mise en place de fonds islamiques et de sukuk en prenant en charge toutes les étapes de vie de ces produits, de l'étude de faisabilité à l'investissement en passant par la structuration et la levée de fonds.
Propos recueillis à Abidjan par A. P. Virgil HOUESSOU (L'événement précis/Bénin) et Paule Kadja TRAORE (Walfadjiri/Sénégal).